Les ambitions sans limites de l’industrie des surfparks


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Un surfpark, c’est quoi ?

Il y a plusieurs sortes de surfparks. Les piscines de surf, les plus nombreuses, sont construites généralement en plein air. Celles à vague dynamique sont de grande taille, typiquement plus de 10 fois la taille d’une piscine olympique, afin de permettre de surfer quelques secondes en parcourant 100 m ou plus. Celles à vague statique sont plus petites. Des infrastructures de surf peuvent aussi être obtenues en installant des moteurs dans des plans d’eau déjà existants ou en favorisant l’apparition de vagues surfables en rivière ou sur la côte. La première piscine à vague dynamique exclusivement destinée au surf a ouvert en 2015 au Pays de Galles (Adventure Park Snowdonia) ; elle a fermé pour des raisons techniques en 2023, illustrant l’obsolescence rapide de ces infrastructures du fait de la forte compétition entre industriels.

Le développement des surfparks dans le monde

Il y a actuellement environ 25 piscines de surf à vague dynamique dans le monde et plus de 200 surfparks en développement. La demande est portée par la popularité du surf, le sport aquatique qui se développe le plus rapidement. Ce sport a obtenu une visibilité accrue grâce à l’inclusion récente d’épreuves de surf aux Jeux Olympiques. Selon les principaux acteurs de cette industrie, l’avenir apparaît extrêmement prometteur (« the future looks bright »). Ils s’attendent à une croissance exponentielle durant les prochaines années, avec le doublement du nombre d’ouvertures de surfparks d’une année sur l’autre pendant plusieurs années (Figure 1).

Les spots wavegardens

Figure 1 : Surfparks de technologie Wavegarden (le leader du marché des piscines de surf à vague dynamique) dans le monde. Il y avait huit surfparks Wavegarden opérationnels en juin 2024.

L’argument de vente principal de l’industrie des surfparks est que ces infrastructures permettent de rendre le surf accessible à tous et partout, y compris à l’intérieur des terres. Ils soulignent que cette activité n’est naturellement praticable que sur quelques spots côtiers favorables à certaines périodes de l’année, avec des problèmes croissants de sur-fréquentation. Les promoteurs mettent aussi en avant la plus grande sûreté des surfparks, avec des vagues calibrées à volonté et l’absence de requins, de courants dangereux, et de concurrence entre surfeurs pour prendre les vagues.

Cette tendance à rechercher des expériences spectaculaires mais moins risquées au prix d’une authenticité au rabais est le propre du tourisme de simulation. La démesure est souvent au rendez-vous : les promotions pour les surfparks mettent souvent en avant leurs dimensions record, par exemple en Corée du Sud, en Floride ou à Abu Dhabi. Le prix à payer pour cette extravagance est élevé en matière environnementale et sociale. Les conséquences incluent la « marchandisation » de sports de nature précédemment gratuits, la tendance pour les individus à ne plus savoir distinguer le vrai du faux et à s’approprier des pratiques culturelles ancestrales, et une forme de sécession avec le reste de la société, ces bulles touristiques étant aussi souvent des bulles sociales.

L’industrie des surfparks s’est structurée

Une société a été créée en 2012 avec pour mission d’accélérer le développement des surfparks : Surf Park Central. Elle a été fondée par John Luff, un industriel, et Dr Jess Ponting, professeur de « tourisme durable du surf » à l’Université d’État de San Diego. En septembre 2013, cette société a organisé le premier sommet mondial des surfparks en Californie, et depuis l’évènement est annuel. L’objectif est de soutenir la croissance et l’évolution du surf « au-delà de l’océan ». Il s’agit de faire se rencontrer les développeurs, investisseurs, opérateurs et professionnels de l’industrie, pour favoriser et promouvoir la croissance et le développement « durables » des surfparks à travers le monde. Une bonne partie des informations présentées ci-dessous viennent de cette société, qui, bien que basée aux Etats-Unis, couvre le développement mondial des surfparks.

Une industrie qui profite à qui ?

Le consentement à payer de la part des surfeurs visitant un surfpark est le sujet qui intéresse le plus les industriels des surfparks. Le dernier rapport sur les tendances de consommation de surfeurs effectué par Surfpark Central a porté sur un panel de 1023 surfeurs. Il a été diffusé en ligne en 2022 en anglais, espagnol et portugais. Les participants à cette étude étaient surtout des hommes (à 90%), aisés (salaire moyen de 100 000 à 150 000 dollars par an) et particulièrement expérimentés en surf (11 à 15 ans d’expérience, en moyenne). L’étude ne présente pas toutes les garanties de représentativité et de qualité, loin de là, mais c’est la seule disponible sur ce sujet. Elle montre que 99% des surfeurs ayant répondu à ce questionnaire sont disposés à surfer dans un surfpark, dont 33% qui l’ont déjà fait. Cette valeur montre bien que seuls les surfeurs favorables aux surfparks ont répondu à ce questionnaire, les autres refusant probablement d’informer ce type d’étude de marketing.

L’enquête a montré qu’un surfeur est prêt à payer 84$ (78€) pour dix vagues « parfaites », une valeur qui a beaucoup augmenté depuis 2015. Les industriels n’ont donc guère intérêt à proposer un prix moins élevé (Wavegarden indique sur son site des prix de 35 à 60€ par session, peu réalistes). A Bristol en Angleterre et à Munich en Allemagne, les prix d’une session standard sont autour de 75 à 80€, avec des fluctuations saisonnières, contre 110€ à Sion en Suisse. Une autre étude a porté sur 534 surfeurs ayant visité un surfpark (URBNB Surf en Australie, The Wave en Angleterre, Waco et Surf Ranch aux USA). Ils ont été interrogés pour savoir combien ils avaient dépensé en tout lors de leur visite sur une journée maximum : 290$ (270€) en moyenne, avec des différences entre surfparks. Mais même dans le surfpark le moins onéreux, la moitié des visiteurs avait dépensé plus de 100$. Ces prix élevés sont logiques car ces infrastructures sont couteuses à construire et à faire fonctionner ; les messages promotionnels mettant en avant le caractère familial et inclusif de ces surfparks doivent donc être fortement relativisés. Le caractère luxueux de ces surfparks transparait aussi dans la tendance récente à les inclure dans les projets immobiliers haut de gamme. Du fait de leur nouveauté et de leur caractère spectaculaire, les surfparks apparaissent désormais plus attractifs que les golfs. Une évolution dans le domaine de l’hyper luxe consiste d’ailleurs à construire des complexes immobiliers incluant des surfparks à l’usage exclusif des propriétaires ou locataires des résidences voisines. La présence d’un surfpark (et d’un golf, car pourquoi se priver ?!) dans ces lotissements privés devient alors un argument de vente. De tels « ensembles résidentiels protégés » (gated communities) construits autour d’une piscine de surf existent au Brésil et sont en projet en Australie, au Canada et aux USA.

Enfin, l’étude de Surfpark Central a montré que les surfeurs voyagent souvent plusieurs heures pour venir dans un surfpark, dont 31% en avion, engendrant ainsi une empreinte carbone élevée (Figure 2). Ces surfparks n’attirent donc pas uniquement une clientèle locale. En réalité, des « road trips » incluant la visite de plusieurs surfparks commencent à voir le jour ; il semble donc improbable que la présence de surfparks encourage les surfeurs à moins voyager et à diminuer leur empreinte carbone, bien au contraire.

HR drive

Figure 2 : Distance parcourue par les visiteurs de surfparks

L’acceptabilité des surfparks

La croissance du secteur des surfparks est devenue un argument pour ses promoteurs : puisqu’il y a de plus en plus de surfparks, pourquoi ne pas en construire ici ? C’est d’ailleurs dans les pays où il y a déjà plusieurs surfparks, comme les Etats-Unis ou le Royaume Uni, que les projets sont les plus nombreux, chaque métropole envisageant d’avoir le sien. Les industriels reconnaissent néanmoins des problèmes d’acceptabilité du public pour ces infrastructures, une situation qu’ils jugent injuste. Ils estiment que cette résistance est due à une méconnaissance du surf par les non-surfeurs, qui considèreraient le surf comme une activité « frivole », à laquelle il serait illégitime d’allouer nos précieuses ressources naturelles. Ils citent à titre d’exemple de ce manque d’acceptabilité le reportage du célèbre comédien et commentateur social John Oliver qui a qualifié le projet de construction de quatre surfparks en plein désert californien de « monumentalement stupide » au vu du gaspillage d’eau que cela représenterait. Eux mettent en avant les nombreux bienfaits pour la santé de la pratique du surf et l’intérêt des surfparks pour le dynamisme économique local. Concernant l’utilisation de l’eau, ils se défendent en relativisant ces consommations d’eau des surfparks, bien plus faibles que celles des golfs.

Toutefois, ces comparaisons ne sont ni valides ni pertinentes. En effet, les consommations d’eau des surfparks existants n’étant pas divulguées, les comparaisons se basent uniquement sur des estimations de consommation d’eau faites par les industriels pour des surfparks en projet, consommations qu’ils ont tout intérêt à minimiser. De plus, l’eau utilisée pour les surfparks doit être de qualité potable, ce qui n’est pas le cas de celle utilisée pour les golfs. En outre, dans un surfpark, l’eau finit par s’évaporer, alors que dans un golf, elle est en partie restituée aux nappes phréatiques. En réalité, les projets de golfs sont de plus en plus contestés. Et surtout, relativiser les impacts environnementaux d’une activité (ici, les piscines de surf) en détournant l’attention vers une autre activité plus gourmande en eau (par exemple le golf) constitue une figure habituelle de l’inaction climatique.

Une industrie écoresponsable ?

Selon ses champions, l’industrie des surfparks peut et doit devenir « verte ». Leur idée est d’éco-certifier les surfparks. A ce jour, toutefois, la seule société pratiquant cette éco-certification (Stoke) est issue de l’industrie elle-même, puisqu’un des deux co-fondateurs n’est autre que Jess Ponting, l’actuel PDG de Surfpark Central. Elle est donc à la fois juge et partie. Et surtout, cette certification ne prévoit pas l’obligation de la publication des consommations annuelles d’eau et d’énergie, un aspect central du débat sur la durabilité de ces surfparks. Jusqu’ici, les industriels ont toujours refusé d’être transparent sur ces points : difficile dès lors à prétendre à l’écoresponsabilité.

Une telle écocertification n’est pas désintéressée : le rapport sur les tendances de consommation réalisée par Surfpark central montre que 91% des surfeurs sont prêts à payer plus pour un surfpark écoresponsable et 68% aimeraient trouver dans les surfparks des informations sur les problèmes environnementaux impactant les spots naturels de surf à l’océan. Des travaux de science humaine ont montré qu’une exposition à la nature lors d’une activité récréative, telle que le surf, engendre effectivement une attitude pro-environnementale. Le problème, c’est qu’une telle attitude n’entraine pas nécessairement de comportements cohérents d’un point de vue environnemental : les surfeurs ont une empreinte écologique bien plus élevée que les footballeurs, par exemple. On parle de dissonance culturelle.

Parmi les leviers envisagés par l’industrie pour verdir les surfparks et ainsi rassurer leurs utilisateurs, on trouve l’utilisation d’énergie renouvelable plutôt que d’énergie fossile et la compensation écologique (pour l’eau gaspillée, les surfaces artificialisées et la perte de biodiversité). Ces efforts aboutissent en réalité soit à un moindre mal, l’énergie la plus propre étant celle qu’on ne consomme pas, soit carrément à du greenwashing, en fonction des détails de la mise en œuvre. Par exemple, certains surfparks mettent en avant une consommation énergétique nette inférieure ou égale à zéro grâce à l’énergie solaire, en omettant de préciser qu’ils ne sont pas autosuffisants en hiver. Or un excédent de production en été ne compense pas un déficit hivernal, qui doit être pris en compte par le réseau public.

Conclusion

L’industrie des surfparks envisage un développement extrêmement rapide. Elle fait preuve d’une grande opacité sur son utilisation de ressources naturelles et met en place, à des fins de marketing, des mesures à la fois optionnelles et peu contraignantes pour compenser ses impacts environnementaux. Selon l’organisation environnementale Surfrider Foundation Europe, les problèmes engendrés par les surfparks sont plus importants que leurs avantages : « la réalité du changement climatique devrait nous contraindre à repenser nos modèles de croissance pour réduire la consommation des ressources naturelles et réconcilier notre relation avec la nature ».